Résumé : En 1863 dans l’Utah, la banque d’une petite ville est attaquée. Cheyenne Rogers, un ancien hors la loi de passage en ville, est très vite accusé du hold up. Son ami le shérif Steve Upton qui l’avait aidé à se remettre dans le droit chemin, croit néanmoins en son innocence. Il va l’aider à retrouver la liberté et fera tout pour prouver son innocence... Lieu de tournage : Corriganville, Ray Corrigan Ranch, Simi Valley, Californie, Kanab, Utah
Informations complémentaires : Sortie États-Unis : 25/05/1943 - Sortie France : 26/11/1946.
Tournage : 22/06 - 26/08/1942.
Histoire inspirée d'un poème de Ben Jonson (To Celia, 1616).
Premier film réalisé en Technicolor par Columbia Pictures.
C'est sur ce tournage que Budd Boetticher (alors assistant réalisateur) a rencontré Randolph Scott et Harry Joe Brown.
Format : 1.37:1
Technicolor
Mono (Western Electric Mirrophonic Recording)
Le film s'ouvre avec un léger zoom sur une sorte d'écrin rouge, suggérant un contenu précieux (en fait un album de photo du casting principal). Et, historiquement, le film l'est, précieux, puisque c'est la première production Columbia en technicolor à sortir en salles, procédé qui commence à s'imposer à l'époque dans les grands studios américains. Columbia s'y est mis sur le tard, laissant en quelque sorte les autres essuyer les plâtres, par contre, une fois le choix fait, tout a été fait pour exploiter la chaleur du procédé. Cet écrin rouge annonce, si j'ose dire, la couleur. Ainsi les tenues féminines son colorées à souhait, lançant leurs vert, violet, bleu, marron qui explosent à l'écran (la comtesse a ainsi une couleur dominante différente à chacune de ses scènes). Les masculines ne sont pas en reste, à l'instar des gilets de l'oncle Willie bariolés (lui aussi en a un différent quasiment à chaque scène), et aucune mise n'est monochrome, jusqu'au plus simple simple accessoire, comme un bandana rouge sur les yeux d'un cheval, qui resplendi à l'écran. Les couleurs sont même exploitées dans les vêtements pour caractériser certains protagonistes : Cheyenne a des tenues sobres propres à un héros réfléchi et déterminé, tandis que celles de Nitro sont bariolées et multicolores à l'image de l'excentricité et la gouaille du bonhomme. Les décors intérieurs, que l'on doit au décorateur Frank Tuttle, ici à ses débuts mais qui habillera par la suite de nombreux westerns comme L'Homme du Nevada, La Bagarre de Santa Fe, Le Cavalier de la mort, Le Relais de l'or maudit, Trois heures pour tuer, Le Salaire de la violence, Comanche Station et bien d'autres (il sera par ailleurs nominé trois fois aux Oscars pour d'autres films sans toutefois remporter de statuette), participent aussi à cette explosion de couleurs via les tentures, tapisseries et rideaux. Seuls bémols à cette fête des yeux, des scènes nocturnes et surtout des extérieurs fades (le ciel bleu est bien pâlichon), sauf peut-être lors de la poursuite à cheval durant laquelle les cadrages cherchent visiblement à chasser tout uniformité de l'environnement, même si ça manque de chaleur.
Ce long préambule sur la colorimétrie du film car rien que pour cet aspect, ce coup d'essai de la Columbia est une réussite à souligner. Ce qui n'est pas le cas pour bien d'autres éléments constituant ce western. Un texte en avant-propos pose le contexte historique du récit, que je cite : « 1863. La ville frontière est l'Utah. L'armée de l'Union prévoit d'acheter les chevaux sauvages qui font la richesse de cet état. Les hommes se ruent vers cette nouvelle frontière, certains pour dresser les chevaux, d'autres pour violer la loi ». Quand on lit cela au générique de début, on se dit qu'on va voir un western parlant de chevaux, de cowboys, de dressage, de troupeaux, d'élevage, sinon pourquoi préciser ces détails ? Mais en fait non, du moins pas vraiment, cela va rester en toile de fond, certes, mais cette histoire de chevaux à dresser pour le compte de l'armée restera plus que secondaire, car on va nous raconter autre chose. En effet, l'ambiance et l'intrigue sont plus celles d'un polar dans lequel un hold-up est perpétré par profit, pour lequel on essaye de faire endosser la responsabilité à un innocent dont le passé trouble incite à l'inculpation. Sans la scène de troupeau affolé finale, l'aventure aurait très bien pu être transposée dans un milieu urbain et contemporain. Pourtant le scénario s'inspire d'une histoire de Max Brand, alias Frederick Schiller Faust, qui a écrit quantité de romans et de nouvelles westerns, dont la renommée dans le genre a servit de porte d'entrée à Hollywood, où il travaillera comme scénariste. Ses écrits ont inspiré des westerns comme Femme ou démon (1939) ou Le Nettoyeur (1954), tous deux de George Marshall, Marqué au fer de Rudolph Maté (1950) et plusieurs muets dans les années 1920. L'auteur ne survivra guère longtemps à la sortie du film puisque, devenu correspondant de guerre, il sera tué sur le front italien le 12 mai 1944. Nul doute que s'il avait survécu, il aurait connu l'âge d'or du western des années 1950 auquel il aurait forcément participé.
Mais revenons au film. L'ouverture se fait par un braquage ratée, scène qui date irrémédiablement le film dans un passé cinématographique où le western n'était encore qu'un genre majoritairement mineur. C'est par ce genre de scène que l'on mesure aussi l'évolution du genre. En effet, environ vingt-cinq ans plus tard, Sam Peckinpah débute La Horde sauvage par une scène similaire. Sauf que lui va s'attarder dessus, développant la boucherie qui va en découler ainsi que les comportements des différents acteurs du drame, entre lâcheté, calcul, sauvagerie, rapinerie, courage aussi, le tout noyé dans un bain de sang et un déferlement de violence. Ici la scène ne dure que quelques secondes, et bien que des hommes tombent, les voleurs n'hésitant pas à tirer dans le tas, tout est policé et vite expédié, comme s'il ne fallait pas choquer. Certes cela met rapidement en perspective la violence des mœurs de l'époque, mais le manque de personnalité de cette introduction ancre d'emblée le film dans la catégorie des œuvres de divertissement, ce que la suite va confirmer.
Si le début du film met bien en place les protagonistes, et illustre patiemment les rouages du scénario, le récit va ensuite désarçonner. Car au lieu de mener un suspense qui s'était tout de même installé vers une tension dramatique qui semblait logique et qui aurait bénéficié à l'intérêt du film, Charles Vidor casse l'ambiance avec une bagarre de saloon dans laquelle il jongle avec le comique de situation limite burlesque via les frasques de l’excentrique Nitro qui distribue à l'envie ses coups de boules plus ou moins réussis, provoquant de ce fait une diversion du combat principal, celui entre deux hors-la-lois, alors qu'il aurait justement dû se concentrer sur cette bagarre entre ces deux hommes qui vont se haïr. En fait cette bagarre survient vers les deux tiers du film, marquant un tournant dans la narration. En effet, à partir de ce moment, systématiquement, à chaque moment dramatique (la prison et l'évocation de la pendaison, la requête de la comtesse, le face-à-face avec le banquier, et même le gunfight final dans le saloon), la tension est relativisée et gâchée par un humour potache assez malvenu, héritage des westerns de série B des années 1930, comme si le genre ne pouvait pas encore être pris trop au sérieux, et ce malgré des réussites récentes comme celles de John Ford (La Chevauchée fantastique ou Sur la piste des Mohawks). Du coup les moments d'émotion tombent à plat, et, conséquence involontaire mais néanmoins ressentie, on reste assez indifférent à la peine de ce père qui comprend que sa fille est sur le point de le quitter, ou au désespoir de celle-ci venue solliciter de l'aide à l'ancienne maitresse de son chéri (les rapports passés entre Cheyenne et la Comtesse ne sont jamais évoqués hormis le fait qu'ils ont grandi ensemble, pourtant leur attitude l'un envers l'autre suggère autre chose qu'une simple amitié d'enfance, même si époque de tournage oblige, on ne peut qu'ergoter sur des allusions). Bref l'émotion est étouffée par des changements de tons trop brusques et répétitifs.
On est aussi surpris par le déséquilibre des rôles principaux. Bien qu'annoncé en vedette, le véritable héros du film n'est pas Randolph Scott, mais bien le Cheyenne campé par le jeune Glenn Ford, qui a alors 26 ans et est au début de sa carrière. C'est l'un de ses premiers rôles importants et quasi le dernier avant qu'il ne prenne le risque de mettre sa carrière entre parenthèses pour s'engager dans les Marines en décembre 1942 (il ne combattra pas, mais sera absent des plateaux durant quasi trois ans, avant de revenir, démobilisé, en beauté avec Gilda du même Vidor, qui lancera définitivement sa carrière). Certes le film capitalise sur le nom de Scott, alors bien plus connu, mais ce dernier est pourtant plus en retrait, presqu'effacé, comme s'il était conscient (à moins que ce soit Vidor) que Ford possédait une palette de jeu plus variée et complexe, donc plus apte à attirer le regard. En tout cas l'ainé est d'une étonnante passivité, à l'image de son personnage qui ne prend aucune initiative alors qu'il est sensé être le représentant de la loi. Toute l'intrigue avance et fonctionne en fonction des réactions de Cheyenne, donc de la prestation de Ford, la volonté de le mettre en avant de la part de Vidor et/ou de la production semblant évidente. On pourra éventuellement tiquer devant la jeunesse de Cheyenne sensé avoir un passé aventureux commun avec le shérif avant que celui-ci ne porte l'étoile, les 18 ans d'écart entre les deux acteurs étant assez visible. Mais bon, après tout, Billy the Kid n'a pas attendu sa deuxième décennie pour faire parler de lui... Côté féminin, c'est aussi la déception. Claire Trevor est sous-employée (là encore, son nom en tête d'affiche est un peu mensonger), et Evelyn Keyes (future madame Vidor pour à peine plus d'un an) ont des rôles antagonistes mais ne sont jamais vraiment confrontées. Un manque de relief que l'on note dans toutes les relations entre les divers personnages comme l'amitié entre Cheyenne et le shérif qui aurait dû être mise à mal par les évènements, la duplicité de l'oncle Willie pourtant complice de vol et de meurtre même s'il ne commet pas les actes lui-même, la fidélité aveugle de Nitro, ect... Tout cela n'est qu'effleuré, comme des éléments sans importance. On retiendra toutefois la performance d'Edgar Buchanan en oncle Willie, qui s'en sort à merveille d'un rôle assez mal écrit, l'auteur voulant absolument le rendre sympathique malgé ses accointances criminelles au point de ne plus trop quoi savoir en faire à la fin... Evelyn Keyes a au bout du compte l'un des rôles les plus développé avec celui de Glenn Ford.
Un autre nom est associé au film, celui de Budd Boetticher, âgé aussi de 26 ans au moment du tournage, grimpant alors les échelons des métiers du cinéma. Il est alors un jeune assistant réalisateur et rencontre sur ce film son producteur, Harry Joe Brown et bien-sûr Randolph Scott. Scott / Brown / Boetticher, le futur trio magique de la fin des années 1950 et du fameux cycle Ranown : des fois c'est beau l'Histoire du cinéma ! Boetticher retrouvera Glenn Ford dans son film suivant, le guerrier Destroyer, puis le dirigera dix ans plus tard dans Le Déserteur de Fort Alamo.
Au final, le spectateur reste donc sur sa fin. La première partie du film promettait suspense et noirceur, désamorcés puis abandonnés en cours de route pour une intrigue qui devient de plus en plus conventionnelle et même débonnaire. C'est assez étrange de constater que plus le destin des personnages s'aggrave, plus le recours à l'humour vient tempérer tout cela. Comme si en 1943, année de sortie du film, alors que le Monde est en guerre depuis plus de trois ans et demi, il fallait divertir et non attrister le chaland se rendant dans une salle de cinéma.
Pourtant le film n'est malgré tout ni mauvais ni désagréable. C'est un spectacle sympathique sans ambition autre que de divertir donc, qui n'annonce en rien Gilda, le chef-d’œuvre que Charles Vidor signera trois ans plus tard, le film de sa vie, tellement différent de ce western qu'on le croirait réalisé par un autre... Toutefois Les Desperados n'est jamais ennuyeux alors qu'il y a finalement peu de scènes d'action, c'est dire si les personnages sont attachants et le montage efficace. De plus la caméra de Vidor est rarement statique, le réalisateur ne se contentant pas de seulement enchainer des plans séquences amorphes. Au contraire, sans faire de miracles ni d’esbroufe d'ailleurs, il colle sa caméra à l'action et aux personnages, mêlant action et romance avec fluidité. Les dialogues sont bien écrits (bien que gâchés en VF, le film étant bien plus audible en VO), ce qui aide grandement les personnages à exister (un bémol pour le méchant de service, assez fade et peu impressionnant). Le film disposait en plus d'un budget conséquent pour l'époque, et cela se voit plus particulièrement lors son morceau de bravoure qui reste en mémoire une fois vue, une impressionnante charge d'un troupeau de chevaux affolés, dont certains plans aériens mettent en valeur le côté spectaculaire, scène qui semble sortir d'un autre film tellement elle détonne du reste.
The Desperadoes, Les Desperados, 1943, Randolph Scott, Claire Trevor, Glenn Ford, Evelyn Keyes, Edgar Buchanan, Guinn 'Big Boy' Williams, Raymond Walburn, Porter Hall, Bernard Nedell, Joan Woodbury, Irving Bacon, Hank Bell, Chris Willow Bird, Roy Bucko, Chester Clute, Tex Cooper, Victor Cox, Richard Cramer, Jack Curtis, Francis Ford, William Gould, Silver Harr, Edward Hearn, Reed Howes, George Huggins, Billy Jones, Ray Jones, Jack Kenny, Ethan Laidlaw, Eddie Laughton, Chief Many Treaties, Robert Milasch, Lee Moore, Sol Murgi, Bud Osborne, Bill Patton, Edward Pawley, Edward Peil Sr., Hugh Prosser, Allen D. Sewall, Sammy Shack, George Sherwood, Tom Smith, Charles Soldani, George Sowards, Glenn Strange, William Sundholm, Al Thompson, Slim Whitaker, Bill Wolfe, Tom Yuen, Charles Vidor, cinéma, cinefaniac, action, aventures, comédie, guerre, noir, comédie musicale, western, critique, base de données, Les Desperados DVD, The Desperadoes DVD, DVD, Les Desperados critique, The Desperadoes critique, Charles Vidor critique